Economie
Pourquoi les Elfes n’ont pas de Livret d’épargne
Réflexions sur l’Économie dans la Sphère
Un des questions que l’on peut se poser dans le monde de Tigres Volants est : pourquoi un Eylda ne met pas des sous et attend que les taux d’intérêt le rendent riche ? La réponse est assez complexe et implique quelques réflexions sur les divers systèmes et tendances économiques dans la Sphère. Il est clair que la notion des taux d’intérêts humaine ne s’applique par à des sociétés qui fonctionnent sur des échelles de temps millénaires.
Pour comprendre comment marchent les affaires d’argent dans la Sphère, il faut d’abord prendre en compte les modèles des trois blocs économiques majeurs : les Siyani, les Eyldar et les Karlan.
Les Siyani
Le système économique des Siyani est, on s’en doute, terriblement complexe et circonvolué. La première chose à noter est que les Siyani ne comprennent pas réellement la notion de taux d’intérêt. Si on cherche à emprunter de l’argent, on paye simplement une commission à celui qui trouve l’argent. L’argent ne vient pas de l’argent, mais bien des intermédiaires – notion centrale de l’économie siyansk : rien ne se fait par soi même.
Le deuxième fait important est que la commission n’est pas obligatoirement de l’argent. Contrairement à ce que l’on pense, les Siyani n’aiment pas l’argent pour l’argent, mais pour les moyens, pistons, contacts, pouvoirs et autres avantages qu’il procure. La commission pour un prêt est donc très souvent non-pécuniaire. Au lieu de prêter à un autre Siyan, on prend de l’influence sur ses affaires. Un Siyan faisant un emprunt aura donc plutôt tendance à donner comme commission aux prêteurs des parts, droits de votes ou fractions de ce dans quoi il a investi l’argent emprunté. Tout cela pour dire que comme les prix fixes, les taux fixes n’existent pas chez les Siyani : tout se discute et se décompose en d’autres marchandages annexes.
Le troisième point capital dans l’économie siyansk est la longévité : plus encore que l’économie eyldarin (qui fut sérieusement bouleversée par la Révolution), c’est une économie où un bon placement dure pendant des millénaires. Les établissements financiers les plus anciens et les plus honorables ont des placements qui sont restés intacts depuis le début de l’Arlauriëntur. Au regard de cela, le marché terrien avec ses crashs boursiers tous les 25 ans et ses guerres mondiales à répétition est certes juteux mais très dangereux. Pour comparer, le taux d’intérêt d’un placement stable dans la Sphère est de l’ordre de 7% par lien, ce qui donne environ 0.05% par an. Lorsque l’on peut se cloner un nombre quasi illimité de fois, on place à long terme.
Les Eyldar
La société eyldarin n’a jamais reconnu la propriété privée au sens terrien du terme. Si les effets personnels appartiennent effectivement à un individu, dès que l’on parle de biens plus importants, ils sont immanquablement la propriété d’un clan, d’une confrérie ou simplement de l’État. La Révolution eyldarin a simplement transféré les propriétés des seigneurs de l’Arlauriëntu un échelon vers le bas (clans) ou vers le haut (République).
De plus le tempérament des Eyldar les rend peu enclins à thésauriser, économiser ou mettre de l’argent de côté, bref à faire marcher une banque. La gestion des ressources importantes a traditionnellement été l’apanage des seigneurs, des intendants et autres gestionnaires. Dans ce contexte, les ressources sont surtout gérées par domaine, le surplus étant utilisé à l’échelon supérieur, etc. La production abondante de biens par un domaine était – et est toujours – source de fierté pour le domaine, qui en recueille une grande part des fruits. Les domaines pauvres sont soutenus par les plus riches au prix de perte de prestige.
Traditionnellement, l’idée de prêt est plus ou moins inconnue, l’argent est réinvesti localement à un échelon ou un autre. La notion de taux d’intérêts est quasi inexistante, et lorsqu’elle existe se trouve en dessous de la moyenne siyansk (environ 5% par lien).
Les Karlan
L’unité monétaire karlan, le Werk’hal représente une quantité abstraite de travail. Le bon sens voulant que le travail d’un Karlan ne pouvant être stocké, la notion de taux d’intérêt est absurde et contre-productive. D’ailleurs, le concept de thésaurisation semble absurde aux Karlan : c’est le travail qui fait avancer les usines d’armement et les fronts sur les champs de bataille. Si des ressources en personnel doivent être relocalisées pour les besoins du Haut-commandement, des officiers s’en occupent. C’est leur travail. S’ils le font bien, ils auront une promotion.
Formellement, les notions monétaires ne permettent pas réellement aux Karlan de même exprimer la notion de prêt bancaire. Pour un Karlan, tout travail ne mérite pas salaire, mais promotion. Que l’économie Karlan avance à coup de médailles en fer-blanc et de rubans, qui s’en plaindra ? Pas le Haut-commandement en tout cas. Socialement, un Karlan qui ne dépenserait pas ses émoluments serait considéré comme timoré (insulte grave) ou n’ayant pas besoin des émoluments concernés. Il faut noter que la société Karlan utilise très peu le Werk’hal : la plupart des postes incluent logement, nourriture et les divers besoins de la vie de tous les jours (soins hospitaliers, nettoyage d’uniforme). Le salaire n’est donc pas nécessaire, mais un luxe.
Résultat : pas de prêts bancaires pour le Haut-commandement karlan et une certaine peine à trouver des liquidités.
Le Choc terrien
On s’en doute, la découverte d’une planète ou le prêt de l’argent ramène autant a rapidement attiré l’attention des extraterrestres, Siyani en tête. Cela fut la cause du crash boursier de 2122, qui manqua de terrasser l’économie des NAUS.
Le Crash de 2122
Fin 2121, encouragé par le succès de la mise en place de la GIC, le Congrès décida d’ouvrir complètement le marché boursier des NAUS aux investisseurs. But plus ou moins avoué de l’opération : obtenir des liquidités à un faible taux pour relancer l’économie américaine. Le succès ne se fit pas attendre : les bons du trésor américain se vendirent comme des petits pains. En six mois, le gouvernement parvint à transformer la plupart de ses dettes en bons de trésor vendus aux Siyani, et cela à un taux d’intérêt très avantageux.
Le problème, c’est que ses bons étaient vendus en dollars, ce qui fait que les Siyani durent acheter une quantité considérable de billets verts. L’effet ne se fit pas attendre : le taux du dollar creva tous les plafonds. Si cela permit aux NAUS d’acheter certaines propriétés hors sol à des prix avantageux, cela flanqua un méchant coup aux marchés de l’exportation.
Le Congrès espérait de fait que les autres nations terriennes s’aligneraient sur sa politique monétaire et que cet effet disparaîtrait. Malheureusement, les préparatifs de guerre de la Fédération des hautes-terres fixèrent d’autres priorités. Cette hausse du dollar encouragea les premières importations massives sur Terre, notamment en provenance de Fantir. Le gouvernement tenta toute une série de mesures pour empêcher cela, que ce soit des barrières douanières (malheureusement, les lois mises en place pour permettre aux extraterrestres d’investir rendirent caduques ces efforts) ou des campagnes de publicités (c’est de cette époque que vient notamment l’expression “Made in Fantir” pour désigner des biens de mauvaise qualité).
Malheureusement, la population avait pris goût aux produits d’outre-Terre, notamment les biens de luxe. Rien n’y fit : en octobre la mise en faillite d’un immense conglomérat industriel marqua le début du crash de 2122. Tous les indices boursiers piquèrent du nez, les faillites décuplèrent et le chômage doubla. Vu que le dollar était toujours surévalué, le gouvernement fit marcher la planche à billets. Le résultat fut celui prédit par les économistes : le dollar passa en hyper-inflation. À la fin de l’année, le billet vert était utilisé principalement comme chauffage ou pour les toilettes.
La suite des événements est peu claire ; officiellement, le Congrès, aidé par le Vice-président (le Président ayant été assassiné par un tueur isolé à Memphis en décembre), pris des mesures économiques drastiques, ferma les barrières douanières et mit en place une politique d’austérité qui permit de rembourser la majorité des emprunts.
La Conspiration Jarod
La remise en route de l’économie dans ces circonstances plutôt obscures laissa naturellement de nombreuses personnes sceptiques. En effet, personne ne sait exactement où sont passés les bons du trésor achetés par les Siyani. Personne n’a pu affirmer avec précision que ces bons ont été rachetés par le gouvernement et les principaux intéressés se gardent bien de lever le voile. Les faits sont là : en moins de deux ans, le gouvernement consolida l’économie du pays et le nouveau dollar (un milliard pour un) était une monnaie stable.
La plupart des rumeurs convergent vers l’existence du fond Jarod. Celui-ci représenterait et cacherait les investissements siyansk qui n’auraient jamais été remboursés. En échange de leur clémence financière, les investisseurs auraient obtenu un certain nombre de privilèges, de passe-droits et de technologies avancées. La rumeur la plus extrême affirme que le contrat passé donne un certain pourcentage « d’actions » du gouvernement aux Siyani ; si jamais ces derniers obtenaient la majorité du capital, ils dirigeraient les USA.
Certains éléments semblent confirmer ces théories, notamment le fait que les USA n’eurent plus jamais de réelles ambitions extra-planétaires. Les principales possessions outre-Sol sont celles acquises lors de la flambée de la valeur du dollar. De même, les nouveaux dollars mis en service utilisaient une numérotation absurde et complexe qui rendait tout contrôle impossible, ce qui permit à de nombreuses guildes de contourner des règles récemment édictées par le Cepmes. Il est clair aussi que les voix des NAUS au Cepmes sont souvent du côté des GMS, mais cela peut tout aussi bien être par simple communauté d’intérêts.
Il n’en reste pas moins que l’on trouve nombre de personnes pour affirmer que le gouvernement américain n’est qu’une marionnette des reptiliens, et que le développement des compagnies mercenaires comme les Tigres volants est le produit de la volonté des GMS par le truchement du FBI.
Le Sonderfall européen
La communauté européenne fut particulièrement refroidie dans ses ambitions d’ouverture économique par le crash de 2122 (les contrecoups se firent sentir en Europe). En fait, les investissements ont toujours été strictement contrôlés depuis les Années d’Ombre et ces événements ne firent que conforter les autorités européennes dans cette voie. Les principales transactions entre l’Europe et la Sphère se font dans le cadre de grands projets, comme l’acquisition des colonies européennes, ou la terraformation de Mars.
Les emprunts européens tiennent plus du leasing que du prêt simple : l’argent est prêté dans le cadre d’un projet tangible et massif. L’objet de ce projet est utilisé comme garantie par le bailleur (pour l’Europe c’est généralement la République eyldarin). Ce système fonctionne assez bien, même s’il est régulièrement critiqué pour sa rigidité et sa lourdeur (notamment car il implique une politique à très long terme).
D’un autre côté, la Confédération encourage parfois l’investissement hors-sol, notamment en République eyldarin. Les fonds de retraite doivent, par exemple, placer une certain part de leur capital dans des investissements très sûrs. Comme par hasard, la République eyldarin est la seule à pouvoir offrir de telles garanties.
La Fédération des hautes-terres
C’est l’État terrien qui a le plus cherché à contrôler ses interactions financières avec la Sphère, c’est aussi celui qui y est le moins bien parvenu. Deux raisons à cela : l’expansion géographique de la Fédération et Singapore. La première a fait que les nombreux vaisseaux de la Fédération durent très vite interagir avec les différentes autorités spatiales, ainsi qu’avec les différents marchands. La seconde a fait que, quelles qu’aient été les mesures décidées par Fantir, il a toujours été possible de les contourner via Singapour (et, dans une moindre mesure, par Copacabana ou Israël).
Malgré les obstructions légales et politiques, la Fédération des hautes-terres entretient un commerce très intensif avec le reste de la Sphère. Cela est naturellement dû au grand nombre de vaisseaux et de starports. Le fait que certains de ces starports se trouvent dans des régions difficiles à contrôler pour Central City (surtout l’Afrique), cause un important trafic gris, qui cause de nombreux échanges monétaires peu ou pas contrôlés.
D’un autre côté, la propension de la Fédération à étatiser tout ce qui touche de près ou de loin à l’armée, ainsi que les blocus économiques et autres embargos qu’on lui inflige avec une régularité d’horloge, ont découragé plus d’investisseurs extraterrestres que toutes les mesures inventées par les conseillers financiers de Gabriel Fore.
De tout cela est sorti un système d’interaction financière complexe, qui implique nombre d’intermédiaires, d’hommes de paille et de commissions. Ces différentes couches permettent d’absorber sans problème les différences de taux d’intérêt et fait que, pour un investisseur siyansk, les taux apparaissent comme “normaux”.
Lors de l’apparition de la Ligue stellaire, les économistes de Central City tentèrent de faire avec cet État le même genre d’arrangement que celui qui lie les nations européennes avec la République eyldarin, en vain. Les autres États de la Sphère ont été très réticents à embrasser des relations économiques sérieuses avec la Fédération ; après tout, qui veut payer la fabrication de l’armée qui va vous envahir ?
La situation actuelle
Encore aujourd’hui, les taux d’intérêts restent relativement élevés sur Terre. Certains affirment qu’au lieu de pousser à l’homogénéisation, la pression de la Sphère a, au contraire, maintenu des taux élevés. La raison pour cela est simple : pour obtenir de l’argent avec de moins bonnes garanties (selon les critères de la Sphère), il faut offrir de meilleurs taux.
C’est cette barrière culturelle, plus que les lois et règlements adoptés par les différents États, qui maintiennent le statu quo. D’un côté les investisseurs, notamment Siyani, voient en la Terre un marché extrêmement volatil et instable, comme ils l’ont appris à leurs dépends en 2122. De l’autre, la plupart des États terriens, avec en tête les NAUS, ont besoin de taux d’intérêts élevés pour maintenir en vie leur économie.
L’expérience américaine a naturellement donné une très mauvaise presse au système économique terrien : la plupart des banques terriennes sont considérées par les GMS comme ayant une solvabilité “catastrophique”. Seul quelques instituts financiers de la République de Düttweiler obtenant une note de “très mauvaise” dont ils se vantent abondamment (en utilisant le terme siyaner). La plupart des investissements extra-terrestres, surtout en provenance des GMS, passent par des pays “portes” comme Israël ou Singapour. Ces intermédiaires amortissent généralement les différences – qu’elles soient légales, techniques ou culturelles – ce qui leur procure bénéfice et bonne réputation.
De même, les portefeuilles d’actions de compagnies terriennes sont regardés avec circonspection : leur tendance à s’écrouler et disparaître tous les 25 ans ne rassure pas, quand ce ne sont pas les réactions d’hystérie de la population lors de la nouvelle d’acquisition massive. La firme américaine “Munchy Breakfast” a fait faillite moins d’une semaine après l’achat d’une portion du capital par un consortium alimentaire de Fantir. Une rumeur persistante de tentative de prise de contrôle et d’empoisonnement par les “dinosaures” causa des émeutes et la destruction de trois entrepôts et de deux centres de production.
Cela ne veut pas dire que l’économie terrienne est complètement isolée du reste de la Sphère : certains investissements se font dans les deux directions. Nombre de banques terriennes ont leurs réserves critiques en Mallin ; d’un autre côté, les industries lourdes, comme les chantiers spatiaux sont aujourd’hui contrôlés en partie par des fonds ne provenant pas de la Terre. Simplement, une série de barrières légales, pratiques et culturelles maintiennent la distinction entre la Terre et le reste de la Sphère.